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Emilio ALVAREZ MONGIL

Républicain Espagnol
Né en 1904
Fille née en 1945

Emilio ALVAREZ MONGIL
Emilio ALVAREZ MONGIL
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Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Bordeaux
Date : 08 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Mme Marie-José Guitard, à propos du parcours de vie de son père, Emilio Alvarez Mongil,  a été enregistré le 8 Avril 2009 à Bordeaux (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page.

 

Résumé de l’interview

MARIE-JOSE GUITARD – Je suis Marie-José Guitard, la fille aînée de Emilio Alvarez Mongil… Il a été un des premiers à s’engager dans l’armée républicaine et avait participé au soulèvement des Asturies. En octobre 37, au moment de la chute de Gijon, au port du Musel, il s’est jeté à la mer pour rejoindre un bateau républicain qui faisait la navette entre la côte Cantabrique et la France… Mais ce bateau est bombardé par l’aviation fasciste… Et là, il a été blessé. Il a perdu le bras droit, et s’est fait amputé, d’où son surnom, après, dans la Résistance, « El Manco »… Ensuite en avril 38, on retrouve sa trace à Barcelone, comme invalide de guerre. Il est alors employé dans un cabinet juridique pour le ministère de la défense.

Au moment de la chute de Barcelone, en janvier 39, les républicains espagnols sont passés en France… et lui aussi ! Le 9 Février 1939, il est donc passé en France, lors de la Retirada. Il a passé la frontière française au Pertus et il s’est retrouvé au camp d’Argelès-sur-Mer. Je ne sais pas combien de temps il y est resté, ni comment il a quitté ce camps, mais je sais qu’ensuite il était à Limoux et il y gardait des vaches.

MARIANNE BERNARD –  En quelle année est-il venu à Bordeaux ?  

Je pense qu’il y est venu en 40, 41. Il habitait avec Cubichi au 8 rue Constantin, à Bordeaux, en 41… et ils ont commencé leur acte de résistance fin 41, début 42. Et ils ont été pris ! Mon père a été pris le 13 octobre 1943, Cubichi a été pris la veille le 12 octobre 1943, et Duboué a été pris le 14. Mon père a été pris au 23 rue Naujac, à Bordeaux, chez ma mère (chez son père pour être précis). Il était pisté depuis pas mal de temps par la Gestapo. Quand il a été arrêté, il s’est arrangé pour laisser tomber la clé du dépôt d’armes de la rue Cornac sur la descente de lit, discrètement. En tant que lieutenant FTP il avait la clé du dépôt d’armes…

La Gestapo l’a emmené d’abord rue Victoire Américaine, où il a été torturé. Il n’a pas parlé. Ensuite il a été au conseil de guerre, rue de Budos, c’était à la kommandantur, puis il a été transféré au fort du Hâ. À la kommandantur, il a aussi été torturé, pendu par les pieds et frappé. D’ailleurs, sur sa carte d’internement à Buchenwald, on précise bien que les dents sont clairsemées et que la bouche est très abîmée. C’est vous dire qu’il a dû prendre quelques coups de pied et coup de gnoute dans la tête… !

Pouvez-vous nous dire peut-être qui était Cubichi ? 

Alors Cubichi… son nom c’est Bernardo Alvarez. C’était un membre des brigades internationales, il était argentin et il est passé en France au moment de la Retirada, aussi avec mon père… je ne sais pas s’ils se connaissaient en Espagne en tout cas ils étaient ensemble à Argelès et ils sont ensuite restés ensemble et ont habité au 8 rue Constantin. Et mon père a rencontré ma mère parce qu’elle habitait au 6 de la même rue ! Elle était beaucoup plus jeune mais faisait partie de la Résistance. Maman était française, elle avait dix-huit, vingt ans de moins que papa et elle a reconnu de suite l’engagement de ces résistants espagnols et elle les aidait… Jusqu’au jour où mon père a été pris par la Gestapo…

Et que s’est-il passé après… ?  

Et bien, après, il a été déporté et interné au camp de Compiègne, un camp d’internement tenu par les Allemands je crois. Il y est resté du mois d’octobre, novembre, au mois de janvier. Et, en janvier 44, il a été déporté au camp de Buchenwald.

Le 27 janvier ils sont partis de Compiègne dans un dans un convoi très célèbre, le « 173 », qui comportait 1584 hommes, dont Bernardo Alvarez (Cubichi), Jean Duboué, un Résistant célèbre de Bordeaux, le colonel Grandier-Vazeille, avec qui ils sont restés très amis parce qu’ils ont été copain de chalie à Buchenwald, ils étaient dans le même bloc et couchaient sur la même paillasse… Et puis il y avait aussi Jorge Semprun, un écrivain et politicien célèbre. Ce convoi a mis trois jours pour arriver à Buchenwald, le 30 janvier 1944 donc. Ils y sont restés ensemble, avec Cubichi et les autres, jusqu’à la libération du camp. 

Vous connaissez la date peut-être ?  

C’était le 11 Avril. Par contre sur ses papiers, ce qui est marqué, c’est le 25 mai, parce qu’il y en a qui sont restés au camp, on les a pas tous rapatriés ensemble. Et ensuite il est venu à Bordeaux, il s’est installé avec ma mère et il a essayé de construire une vie à peu près normale…En sachant que, bon… la guerre, les privations, la torture, tout ça l’avait beaucoup amoindri physiquement. Tous les membres de ce groupe de résistants sont revenus malades et amaigris. Mon père, il pesait 40 Kilos en revenant !

A-t-il pensé un jour à revenir dans son pays… l’Espagne ? 

Il n’a pu y revenir qu’après la mort de Franco, en 75. Il y est reparti tout de suite, mais hélas, il n’a pas revu toute sa famille parce son père était mort… sa sœur, Asuncion… depuis le jour de son départ d’Espagne, il a plongé, au port du Musel, elle l’a attendu. Et toute sa vie, elle a réclamé son frère et ne l’a jamais revu parce qu’elle est morte avant que papa puisse retourner en Espagne…

Je voudrais revenir sur le rôle de votre maman dans la résistance ? Vous pourriez peut-être nous en parler ?

Alors maman était beaucoup plus jeune mais elle s’est engagée très tôt aussi dans la Résistance, ce qui s’appelait à l’époque la défense passive. Elle faisait partie de la Croix Rouge et elle assistait tous les gens dans le besoin pendant la guerre. Par exemple après un bombardement, pour aller sauver les blesser… et puis elle essayait de venir en aide aux gens qui en avaient besoin. Elle n’a pas mené des actions comme mon père, comme aller poser une grenade à la Kriegsmarine ou attaquer une patrouille allemande. C’était pas du tout le même genre de combat. 

Oui, le rôle des femmes dans la Résistance était souvent celui-ci. Celui d’agent de liaison. Pour en revenir à votre papa donc il parlait facilement de guerre en Espagne ou de ses actions dans la Résistance française ? 

C’est grâce à aux papiers liés à ses engagements qu’on a pu retranscrire l’histoire, parce que sinon, papa ne nous en a jamais parlée. Un petit peu de Buchenwald, parce que c’était trop fort et quand on lui posait des questions, comme pour savoir pourquoi il lui manquait un bras, il répondait évasivement. En fait, il ne nous a jamais décrit son parcours, il ne nous a jamais expliqué sa lutte. On savait qu’il s’était passé quelque chose parce que mon grand-père maternel, le père de maman, le traitait de terroriste et de rouge… Ça a été un grand mystère jusqu’au moment où j’ai entrepris des études d’espagnol et où j’ai eu des professeurs comme messieurs Perez ou Tuñon de Lara, à la faculté de Pau, qui eux m’ont dit que mon père n’était pas un voyou [rires]… mais quelqu’un de bien, un héros ! Et donc là, on a pu en parler un peu avec papa, mais pas beaucoup car il avait du mal à contenir ses émotions. Parce que c’était un passé tellement douloureux qu’après on ne pouvait plus l’arrêter, les vannes s’ouvraient et c’était… c’était catastrophique… Mais grâce aux papiers qui ont été conservés par maman, et puis après par ma sœur au 23 rue Naujac, on a pu retrouver le parcours de papa.

On peut reparler de l’enfance de votre père en Espagne ? 

Oui, oui. Il est né dans une famille assez bien je pense. Le grand-père travaillait au chemin de fer. Puis, quand papa avait pas 7 ans, sa mère est décédée à la naissance de ma tante Carmen… Donc le grand-père s’est retrouvé avec quatre enfants… Il s’est remarié, avec une dame, Pilar, qui avait déjà une fille, Angelinés, qui nous a beaucoup aimés ! Sa mère, Pilar, à la naissance de ma tante Esméralda a pensé que six enfants, ça devait lui faire beaucoup trop, et elle a expédié les quatre aînés chez une grand-mère, dans une petite maison à la Calzada.  La grand-mère était peut-être aussi un petit peu débordée, donc c’est comme ça que papa est allé en pension et qu’il y ait resté jusqu’à ses 17 ans. Mais à 17 ans, il a refusé de prononcer ses vœux et il est parti courir le monde ! Il s’était embarqué sur des sur des bateaux à Gijon et a fait plusieurs grands voyages. Il est allé à Cuba, il est allé en Amérique Centrale… et il a commencé sa vie militante là-bas. Il a changé totalement de milieu et il a commencé sa vie militante, si bien que quand le soulèvement des Asturies est apparu, la République donc, en 31, il était à Gijon et il était déjà engagé dans la vie politique et militante.

Le parcours de combattant et de militant de votre père vous a-t-il influencé ?

Oui, certainement. Même s’il n’y faisait pas allusion tous les jours à la maison, il nous donnait toujours une opinion bien sentie sur les choses. Au moment de mai 68, par exemple, il essayait quand même de nous tempérer, qu’on ait une conscience politique, qu’on analyse les situations. C’est grâce à lui que on a toujours eu pas mal de recul sur certaines situations et certains engagements. Sinon on aurait, on aurait fait comme certains autres, on aurait mis le feu partout [rires]. C’est sûr que c’était quelqu’un d’intelligent, qui nous a influencés par son intelligence, par sa culture et par son engagement politique certainement aussi… Moi j’ai toujours dis que c’était quelqu’un qui respirait à une autre hauteur. Il avait cette fierté, peut-être qu’ont les Espagnols, mais aussi cette noblesse d’idées en étant toujours très juste, très respectueux des autres. Et ça, ça n’a pas de prix dans une éducation, transmettre un peu de cet un idéal qu’il avait.

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Interviewer : Marianne Bernard
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