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Ilorna ARENAS

Républicaine Espagnole
Née en 1921
Engagé en 1930

Ilorna ARENAS
Ilorna ARENAS
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Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Libourne
Date : 18 juin 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux sur les Républicains espagnols engagés dans la Résistance, un entretien avec Mme Ilorna Arenas, a été enregistré le 18 juin 2009 à Libourne (33). Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page.

 

Résumé de l’interview

ILORNA ARENAS – Je suis née en 1921, donc j’ai 88 ans. Quand la guerre d’Espagne a éclaté, j’avais 15 ans et j’habitais Barcelone. Mon père était comptable, mais comme la République n’avait plus d’armée, des milices se sont formées, il s’est tout de suite engagé dans la milice. Et mon père, comme il avait de l’instruction, il a tout de suite été dans les officiers. Il était dans le cinquième régiment, il s’occupait des camions, des transports, « el cuerpo de tren ».

« Prépare quelques valises, on s’en va, c’est fini. Il faut qu’on aille vers la frontière »

Il était capitaine et en même temps, « commissario politico ». Il donnait des leçons de lecture et d’écriture aux gens qui étaient analphabètes. Puis, en 38, au moment de la bataille de l’Ebre, mon père est arrivé avec un camion, « Prépare quelques valises, on s’en va, c’est fini. Il faut qu’on aille vers la frontière ». On est parti vers la frontière, on était bombardés, constamment !

On est arrivé à la frontière, mais impossible de passer, tous les chemins étaient coupés, il y avait trop de neige ! Alors papa a dit qu’il fallait passer par un autre lieu pour tenter notre chance, et on est passés par la tour de Caro, et Burnada.

MARIANNE BERNARD – A quelle date êtes-vous passés en France ?

On est passé le 9 février 1939, les gardes mobiles nous attendaient.  On nous faisait une piqûre à tous, on était à la queue leu-leu, puis dans une grande halle, avec beaucoup de paille. Nous y avons passé la nuit. Le lendemain, on nous a mis dans un train, un train en bois, fermé, sans rien manger. Dans les gares où on s’arrêtait, des  sympathisants de la République nous donnaient à manger par la fenêtre. On est descendus à Bordeaux, tout le monde nous regardait comme des bêtes curieuses… Et, à Pignonet, un petit village à côté de Saint-Emilion, il y avait un maire qui avait de la sympathie pour les républicains, qui a voulu en accueillir cent. C’est là que nous sommes allés.

Dans ce village en France, ils nous accueillaient, mais ils nous exploitaient, mais alors exploités, exploités, exploités !

Là-bas, les gens nous ont très bien accueillis, ils nous ont donné  à manger, et certaines familles ont proposé du travail. Le patron qui nous avait pris, comme il avait beaucoup de vignes, a pris mon frère comme commis. Et pour moi,  c’était la terre ou aller travailler comme bonne. Alors j’ai choisi bonne, et je suis tombé chez le curé de montagne [rires].  C’était un vieux curé, très gentil, et j’ai compris ce que c’était la séparation de l’Eglise et de l’État, car jamais il ne m’a forcé à me confesser ou faire ma communion. Et  à ce moment-là, ça n’existait pas, ça, en Espagne. Parce que l’Eglise d’Espagne, c’est l’Eglise de l’Inquisition, l’Eglise pure et dure…

Concernant le travail… les gens nous accueillaient, mais ils nous exploitaient ! Payées trois francs six sous… Ma mère a pu reprendre contact avec mon père parce qu’elle se rappelait des régiments où il s’était engagés.  Mon père a ensuite pu nous rejoindre, par l’intermédiaire du curé, car on manquait de mains dans l’agriculture, et il a eu un contrat dans le village. Puis nous sommes allés à Libourne, et ma pauvre mère, à force de souffrances et de privations, elle est morte du pancréas perforé, à 43 ans.  J’avais 19 ans,  les Allemands étaient déjà là, j’ai veillé à côté d’elle la nuit où elle est morte, et à la fin du couvre-feu, j’ai couru avertir mon père.  On n’avait même pas de quoi l’enterrer. On a fait une quête entre tous les réfugiés pour pouvoir faire une sépulture…

J’ai connu mon mari à cette période. Il était parti dans les compagnies de travail, notamment près de Royan pour le chantier d’un aérodrome, puis, en 41, toute la compagnie de mon mari est partie à pied et ils sont arrivés à Libourne.

Je voudrais revenir sur l’histoire de votre famille. A votre arrivée à la frontière, vous avez été séparés de votre père ?

Il était militaire, les militaires ne rentraient pas avec les civils, c’était impossible. À Argelès, les réfugiés étaient nourris à travers les barbelés… Mais grâce aux personnes politisées, les camps ont été équipés en couvertures, en baraquements, etc. Cette union a continué quand la guerre a éclaté en France, pour la Résistance. Mon père et mon frère ont quand même été obligés de travailler pour les Allemands et l’organisation Todt, à Bordeaux.

Les soldats républicains ont trimbalé leurs armes avec eux, des montagnes de fusils. Ils préféraient se les faire confisquer France, que les laisser à Franco…

Après j’ai rencontré mon mari à Libourne, on s’est fréquentés six mois et on s’est mariés ! Lui avait 27 ans. Quand ils ont travaillé pour Todt, mon mari a commencé à faire de la clandestinité, en portant des messages cachés. Forcément, il a fini par être remarqué, et nous avons dû partir. Mon père et mon frère sont allés à la Touraine, en cachette, dans le maquis.

Nous aussi nous sommes partis, dans les Deux-Sèvres, proche de Thouars, comme ouvriers agricoles chez une famille d’Espagnols. J’ai laissé ma petite de 7 mois chez mon ancienne patronne à Libourne, pour qu’elle soit à l’abri. J’ai été obligée de me cacher… Tout ça, ça ne s’oublie pas ! C’était la fin de la guerre, on le sentait, mais les Allemands faisaient encore beaucoup de dégâts… On le savait vu qu’on était pas loin d’Oradour-sur-Glane.

Les maquisards ont libéré notre village, nous n’avions plus qu’un objectif : retrouver notre fille. Mais comme les Allemands avaient détruits beaucoup de voies de transports (trains, routes, vélos…), on a marché, pris des cars… On a mis huit jours pour faire 350 kilomètres ! Mais on y est arrivés ! On a retrouvé notre bébé !

« Ilorna, si vous devez partir, partez, je garderai votre petite… »

Vous vous êtes installés à Libourne ?

J’avais déjà un pied à Libourne, on est restés. Mon frère, lui, est parti tout de suite en Espagne, pensant que la dictature allait cesser, puisque les Américains étaient déjà là. Mais non. Des groupes ont été dans le val d’Aran, ils ont été pris, ça a été la catastrophe. Mon frère est resté là-bas… Il a passé sept ans en prison, en Espagne, à San Miguel de Reyes. C’était terrible. Un fusillé par jour, le cynisme, on les tuait à petit feu. Mon frère a eu une réduction de peine, il devait faire quatorze ans, il en a fait sept. Par contre c’était en « desterado », dans un petit village. Lui, il a obtenu pour aller voir sa famille à Barcelone, et une fois qu’il était à Barcelone, on a trouvé un passeur pour l’emmener en France.

Est-ce que vous avez parlé de ces années de guerre et d’exil donc à vos enfants ?

Oui, la mémoire se transmet ! J’ai une fille, une petite-fille et une arrière-petite-fille ! Et puis ici, quand je parle à toutes les personnes de mon âge, comme ça, ils disent, « Mais on aime quand vous parlez de votre pays ».  Mon arrière-petite-fille aussi elle apprécie, et elle m’a dit, « Il faut que tu me l’écrives parce que je vais oublier mamie… » Alors je leur ai écris un cahier. Et elle m’a dit, « Je vais le transmettre à mes enfants, pour qu’ils sachent d’où ils viennent ! »

Vous savez, nous on a été partout pendant la guerre, il faut dire que les premiers tanks qui sont entrés à Paris, ils portaient les noms des grandes batailles qui se sont passées en Espagne. Jarama, Teruel, Brunete, Farama, tout ça…

Donc on fait partie, nous les républicains espagnols, d’une petite partie de l’histoire de la France. Et ça j’en suis fière !

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Interviewer : Marianne Bernard
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Date : 18 juin 2009

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