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Francisco BAJEM-BAILE

Républicain Espagnol
Né en 1916
Fille née en 1949

Francisco BAJEM-BAILE
Francisco BAJEM-BAILE
/
Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Bordeaux
Date : 30 septembre 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Denise et Anita Bajem-Baile, à propos du parcours de vie de Francisco Bajem-Baile,  a été enregistré le 20 septembre 2009 à Bordeaux (33).  Sur cette page, vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

 

Résumé de l’interview

MARIANNE BERNARD –  Je suis chez Mesdames Denise Bajem et Anita Bajem, respectivement épouse et fille de combattant républicain et résistant. Je vais m’adresser en premier à Mme Bajem Denise, qui va nous raconter l’engagement de son mari pendant la deuxième guerre mondiale. Votre mari a fait la guerre d’Espagne. Il était officier de l’armée républicaine.

DENISE BAJEM – Oui. Il est sorti capitaine de l’école militaire de Barcelone. Il a été interné au camp de concentration de Septfonds durant un an en 39. Et quand la guerre a été déclarée en France, il est sorti du camp : la France avait besoin de bras. Il a été envoyé à Tarbes où il y avait une manufacture d’armement. Il y est resté un an ou six mois. Il était dessinateur de profession. A Tarbes, c’était pas vivable. La police française le harcelait, le contrôlait sans cesse. Il a alors rejoint Marseille avec quelques amis. Il n’avait ni travail ni argent. Il est devenu bûcheron. En 42, recherchant toujours du travail, il rejoint un ami à Châtellerault où je vivais à l’époque. Il y avait beaucoup d’Espagnols à Châtellerault et il a multiplié les contacts. Il a intégré un réseau de résistants français à Poitiers. Il a pris le maquis et changeait de lieu régulièrement. Je crois qu’ils ont même combattu les Allemands. Et ça a duré jusqu’à la libération en 44. Puis, nous sommes restés à Châtellerault jusqu’à 1950 puisqu’il avait trouvé du travail. Puis on est partis à Bordeaux.

A Marseille, on en riait, il a fait le bûcheron, alors qu’il n’avait jamais travaillé de ses mains…

J’aurais aimé avoir le lieu de naissance de votre mari.

A Barcelone, le 29 mai 1916.

Il s’appelait Francisco Bajem Baile. Avez-vous connaissance de son engagement politique pendant la guerre d’Espagne ? 

Il avait 20 ans. Je sais qu’il a fréquenté beaucoup d’anarchistes mais n’a pas soutenu leur mouvement. Il a adhéré au parti communiste espagnol. Il a fait ensuite la guerre dans l’infanterie.

Est-ce qu’il vous a dit les batailles auxquelles il a participé ?

ANITA BAJEM – Il était sur le front de l’Ebre.

C’est à partir de là où il y a eu la Retirada et qu’il est passé en France. Et il a atterri dans le camp à Septfonds. Donc, Septfonds est situé à quel endroit ?

DENISE BAJEM – Près d’Albi. Mais là, c’est un problème de géographie française pour moi [rires].

ANITA BAJEM – Le camp de Septfonds était un camp de triage. Ils répertoriaient les gens en fonction de leurs métiers et des besoins de la France. Pour ma part, il est possible que mon père ait également été interné au camp de Gurs pour un temps très court. Ils étaient souvent trimballés d’un côté d’un camp à un autre. Par contre, il est sûr qu’il a été à Septfonds : il y a même appris le français grâce à des militants français ayant apporté leur aide aux républicains espagnols réfugiés.

Et vous-même, madame, avez-vous fait de la résistance ?

Ma mère n’a pas été résistante dans le sens où elle a fait des actions. Par contre, elle a été agent de liaison : mon père lui remettait des choses à transporter. Elle a même eu quelques ennuis.

Il a même appris le français grâce à des gens de Septfonds

Donc c’était un acte de résistance aussi [silence]. Vous avez connu votre mari à Châtellerault en 1942 ? 

DENISE BAJEM – Oui, en 42. Et nous nous sommes mariés en décembre 45.

Vous ne voulez pas plus parler de votre action à Châtellerault ?

Si vous voulez, oui. Notre maison était connue en raison de ma liaison avec Francisco. J’étais avec ma mère parce que mon père était décédé en 41. On déposait des documents ou autre chez moi et je les déposais à l’endroit indiqué.

Votre mari vous a-t-il raconté quelques journées dans le camp de Septfonds ?

Ah oui. Cela se passait mal. Alors, il s’est concentré à apprendre le français. Il s’est rendu compte que le retour en Espagne serait impossible, donc il a beaucoup étudié. Les Français venaient derrière les grillages du camp, parlaient aux Espagnols et leur apportaient des livres. En six mois, il parlait français.

ANITA BAJEM –  Les Français se portaient garants et recevaient quelques heures des républicains espagnols chez eux. J’ai le souvenir de cette famille, les Garde et les Bousquet. Nous avons gardé très longtemps des contacts avec eux puisqu’une partie de la famille était installée à Bordeaux après la guerre.

Avez-vous eu connaissance de sabotages ou d’actions que votre mari a menés pendant la résistance ? 

DENISE BAJEM – Ils ont attaqué des convois sur la route de La Roche-Posay. Sinon je ne sais pas.

ANITA BAJEM – Nous avons eu connaissance d’un document historique publié en 1981 par Juan Castillo Sebastian dans le bulletin d’information de l’Amicale des anciens guérilleros espagnols en France. Il relate le fait suivant : « La 4ème brigade et la 24ème division dans les limites de la Charente et de la Dordogne, avec l’appui des amis d’Angoulême, participa à la libération de cette ville. Les guérilleros espagnols libérèrent la gare et l’arsenal et s’emparèrent d’une grande quantité d’armes. A cette brigade fût incorporé un groupe de guérilleros commandés par Francisco Bajem qui avait participé à la libération de Poitiers. On incorpora également à la 4ème brigade un groupe commandé par Fausto Castillo après la libération de Cognac. » Donc, mon père a fait parti d’un groupe de guérilleros formé par la résistance pour pénétrer en Espagne et participer au renversement du franquisme. On peut rêver, bon. Il a été formé au camp de Marcillac dans le Gers début 44 ou fin 43, quand les mouvements de résistance n’étaient pas encore unifiés. Mais à Marcillac, un premier groupe d’une dizaine de guérilleros espagnols a pénétré en Espagne en passant par les Pyrénées et tous ont été arrêtés et fusillés. Cela a été une prise de conscience de ces mouvements qui ont vu qu’il fallait se concentrer sur la libération de la France et que ce serait que dans un temps beaucoup plus éloigné que le renversement de fascisme pourrait se faire. C’est ce que j’en sais et comment je l’interprète. Les différents courants de résistance se sont trouvés réunifiés. Ça a été l’œuvre de Jean Moulin et du Général de Gaulle pour libérer le sol français. Au départ, les divers mouvements de résistance avaient une vision plus universelle. Ils voyaient la résistance comme un mouvement européen de renversement des fascismes en place. Mais c’est mon interprétation. 

DENISE BAJEM – Mon mari est resté quelques semaines à Marcillac pour voir s’il pouvait passer en Espagne. Puis, suite à l’échec du premier groupe, le centre de formation de Marcillac a été dissous. Et il est revenu à Châtellerault.

ANITA BAJEM – C’était pas possible. Ils allaient à l’abattoir.

Donc vous êtes mariés à Châtellerault avec Monsieur Bajem et vous y avez vécu quelques années où vos enfants sont nés.

DENISE BAJEM – Mes deux enfants sont nés à Châtellerault. Un garçon en 46 et une fille en 49.

Après vous êtes venus vivre à Bordeaux. Quelle profession votre mari exerçait ? 

A notre arrivée à Bordeaux en 51, il a commencé par travailler chez un architecte. Il n’est pas resté longtemps car il trouvait qu’il gagnait pas assez. Après, il est rentré dans le bureau d’études SECOTRAP. Il a beaucoup travaillé, car il est arrivé d’Espagne en tant que petit dessinateur et il a terminé ingénieur.

Anita Bajem : en fait en fait c’est ce que je pense c’est que c’est quand notamment le camps de Septfonds était en quelque sorte un camps de triage c’est-à-dire que ils répertoriaient euh ils demandaient aux gens ce qu’ils savaient faire et en fonction des besoins et des savoirs faire des uns et des autres ils les envoyaient à à à des endroits un vous êtes d’accord donc euh je pense que mon père là s’est retrouvé vers Tarbes. Moi j’ai cru – ma mère n’est pas… n’est pas tout à fait d’accord – on avait parlé du camps de Gurs avec mon père et moi je pense qu’il est allé peut-être un temps très court mais il est allé à mon avis hein au camps de Gurs.

Et vous-même, vous avez peut-être fait des études sûrement  ?

ANITA BAJEM – J’ai fait des études d’espagnol. Donc ces questions m’ont intéressé. Mais on a le regret de ne pas avoir posé toutes les questions, de ne pas avoir refait une chronologie de l’histoire. C’est le problème de la jeunesse qui se dit « on a le temps d’évoquer tout ça » et puis un jour c’est trop tard. 

Et votre père est revenu en Espagne ?

DENISE BAJEM – Il est rentré dans les années 60, avant la mort de Franco en 75.

Il n’a pas eu de soucis particulier quand il est rentré ? 

Il avait demandé un visa. A la frontière espagnole, il a subi un très long interrogatoire. La police savait exactement tout ce qu’il avait fait en France. Donc, si ça se trouve, les archives espagnoles sont très intéressantes [rires].

C’était leur objectif : faire passer des guérilleros en Espagne pour essayer de renverser le régime franquiste

Certainement, tous ces républicains étaient fichés.

A la frontière, son frère était venu nous chercher la première fois. On nous avait assuré qu’il ne serait pas mis en prison, même s’il pouvait être refoulé. Ceux qui rentraient à cette époque, on ne voulait pas d’eux. Il a été plus d’une heure au poste frontière d’Irun.

Lui restait-il beaucoup de famille en Espagne ? Comment s’est passé son retour ?

Sa famille est originaire de Huesca, qui était franquiste. Son père s’est réfugié en Catalogne et le reste de la famille en France

ANITA BAJEM – Mon grand-père était maire républicain d’une petite ville catalane, Balaguère. Il s’est retrouvé réfugié politique avec mon père. Mais, mon grand-père était très âgé et avait des problèmes. Pour lui, il était inconcevable de s’adapter en France, de s’adapter à quoi que ce soit. C’était un tel choc. Donc, il avait laissé sa femme et ses filles.

DENISE ET ANITA BAJEM – Sa femme et une fille aînée sont allées en prison à Huesca. Elles n’ont pas été maltraitées mais elles ont été trois mois quand même en prison parce que le père et le fils étaient partis. Et quand mon mari était à Marseille, il a eu des papiers pour partir au Mexique y refaire sa vie. Mais, une fois sur le bateau, Pétain a signé un décret interdisant aux hommes de plus de cinquante ans de quitter le pays. Ou c’est le contraire, je ne ne sais plus : étaient-ce les hommes en âge de travailler qui ne pouvaient pas partir afin de fournir le STO ? Dans tous les cas, ils ne pouvaient pas partir l’un sans l’autre. Mon père a refusé de laisser le sien seul et ils ne sont pas partis.

Est-ce que vous avez gardé un contact avec votre famille d’Espagne ?

DENISE BAJEM – Oui. J’ai deux belles-sœurs.

ANITA BAJEM – Aujourd’hui, dans la fratrie de mon père, un seul sur quatre est en vie. Il est né en 26 et a dix ans de moins. Il habite à Saragosse. Et donc nous y allons régulièrement. Nous fréquentons toute la famille, surtout nos cousins au second degré. Nous nous appelons et nous rendons visite.

Il est rentré en Espagne dans les années 58, 60. Et donc à la frontière espagnole, il a subi un très long interrogatoire. Et il était évident que la police espagnole aux frontières savait exactement tout ce qu’il avait fait en France… il a été plus d’une heure au poste frontière d’Irun. Et nous, on attendait dehors…

Quand vous vous êtes mariés, votre famille – puisque vous êtes française – ne vous a pas posé de difficultés ?

DENISE BAJEM – Oui, très bien passé. Il n’y a pas eu de problèmes. Mon père était décédé mais ma mère a accepté. Francisco faisait parti de la famille.

C’est peut-être une famille française atypique. Mon grand-père maternel était fonctionnaire, militant socialiste et syndicaliste. Donc c’était une famille qui voyait les républicains espagnols avec beaucoup de sympathie. Culturellement la famille était préparée à accepter un mariage mixte.

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