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Francisco SERRANO

Francisco Serrano
Républicain Espagnol
Né en 1913

Francisco SERRANO
Francisco SERRANO
/
Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Bordeaux
Date : 21 avril 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Françoise Roys Caballero a été enregistré le 21 avril 2009 à Bordeaux (33) par Marianne Bernard et Oumar Diallo.  Sur cette page, vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

FRANCISCO SERRANO – Je suis né le 29 août 2013 à Los Barrios en Andalousie. Mon père, Francisco Serrano et ma mère, Rosario Gomez, étaient agriculteurs. Ils travaillaient pour des propriétaires terriens. Moi, j’étais mécanicien. J’étais membre d’un syndicat CNT, Confédération Nationale du Travail. Participant à des grèves interdites, j’ai été emprisonné à plusieurs reprises, parfois quinze, parfois vingt jours. Ma mère en avait même pris l’habitude : si je n’étais pas rentré à 20 heures, c’est que j’avais été arrêté. Le 18 juillet 1936, jour du coup d’Etat militaire, j’étais d’ailleurs en prison ! J’ai été libéré avant celui avec lequel j’avais été arrêté. Le commandant, qui nous connaissait bien, craignait que l’on ne s’échappe si l’on était emprisonnés ensemble. J’ai ensuite appris que quarante de mes camarades incarcérés avaient été fusillés. J’ai rejoint Castella, en zone républicaine. J’ai mis quinze jours à franchir quarante kilomètres car je ne pouvais marcher que de nuit. Les franquistes ont pris la ville quelques jours après mon arrivée à Castilla. J’ai gagné Estepona et j’ai formé avec d’autres camarades le bataillon “Fermin Tabocheas”. Nommé lieutenant, j’ai marché jusqu’à Marbella. J’ai assisté à la Retirada à Malaga : trois avions nous ont frôlés, des chars ont chargé, des milliers de morts se sont amassés. Arrivé à Almeria, j’ai décidé d’arrêter mon engagement militaire. Je suis rentré dans la police en tant que garde d’assaut. J’ai été envoyé à Madrid, puis à Valence et enfin à Barcelone.

MARIANNE BERNARD – Vous êtes passés en France après. A quel endroit et à quelle date ? 

J’ai traversé la frontière le 13 février 1939 à la Tour de Carol, à côté d’Andorre. J’ai été immédiatement désarmé. Mon image de la France, pays des droits de l’homme, “berceau des désemparés” s’est noircie à mon arrivée. Je savais que nous étions huit cent mille réfugiés et que nous ne serions pas logés en hôtel trois étoiles, mais tout de même [rires]. Beaucoup de personnes âgées, de blessés, de femmes et d’enfants sont décédées sur la route, faute de nourriture – certaines ne produisant plus de lait pour leur nourrisson. Encadrés par la Méditerranée d’un côté, les gendarmes de l’autre, nous étions pris comme du bétail. J’ai été interné au camp d’Argelès-sur-mer, et un mois plus tard, dans celui de Barcarès. Nous dormions à même le sable. Il n’y avait aucun baraquement. Un jour, un patron s’est présenté, demandant avec un haut parleur qui était charpentier : nous avons tous levé la main ! J’ai ainsi intégré la cent-trente cinquième compagnie de travailleurs étrangers. J’ai signé un contrat de travail pour la période de la guerre. J’ai creusé des tranchées dans les Pyrénées atlantiques jusqu’à l’armistice de novembre 40. Après la fin de la guerre, j’ai été démobilisé à Perpignan. J’ai rejoint Tarbes où j’ai travaillé pour Alstom dans la confection de pièces d’avion. En tant qu’Espagnol, je risquais l’emprisonnement et j’ai alors décidé de prendre le maquis dans l’Ariège. Nous étions un groupe d’une dizaine d’hommes : des socialistes, des communistes, des anarchistes. Mais nous parlions peu idéologie. Nous menions différents sabotages comme la coupure des routes au passage des Allemands. J’ai finalement participé à la libération de Tarbes. A la fin de la guerre en 45, j’ai rejoint Tarbes où j’ai travaillé en tant que chauffeur routier. Mais mon patron, un ancien commandant de l’armée française, a fini par m’imposer des trajets en Espagne. Or je risquais l’incarcération et la condamnation à mort dans mon pays. J’ai dû démissionner. C’est ainsi qu’en 1950, je me suis installé à Bordeaux où j’ai travaillé dans la mécanique. Puis j’ai intégré l’usine Peugeot en 1960, et ce jusqu’à ma retraite en 85.

Etiez-vous déjà marié à votre arrivée à Bordeaux ?

Ah ! C’est un autre problème [rires]. Je me suis marié le 15 juin 1938 à Barcelone en pleine guerre. A ce moment, il n’y avait pas beaucoup de mariages [rires]. En tant que membre de la police, le commandant m’avait donné un demi-kilo de haricots verts et un peu de viande. Deux de mes amis ont été mes témoins. Je me souviens qu’une bombe est tombée et que la lampe s’est alors renversée au milieu des haricots verts [rires]. J’ai ensuite été envoyé au front d’Andorre. Ma femme a tenté de traverser la frontière française avec un passeur qui demandait mille cinq-cent pesetas et qui s’est avéré être un traître qui l’a dénoncé à la police. Elle a été emprisonnée puis est retournée à Barcelone. C’est finalement son patron – elle travaillait comme secrétaire à la mairie de Barcelone – qui l’a aidée à passer la frontière par le biais de son réseau personnel. Elle a franchi la frontière, avec notre fille alors aĝée de sept ans, le 15 juin 1947.

Avez-vous gardé des liens avec votre pays ? 

Je correspondais par lettres avec ma femme : la Croix-rouge les faisait passer par la Suisse puis l’acheminait à Barcelone, et inversement.

Êtes-vous revenu en Espagne ? 

Je suis retourné en Espagne en 70, trente ans après. Mon père et ma mère étaient décédés. Je n’ai pas été inquiété car Franco, qui est décédé cinq ans plus tard, commençait à donner un peu de liberté aux anciens républicains. 

Et quand vous vous êtes installé à Bordeaux, avez-vous rencontré des problèmes ?

Non, j’avais une carte de séjour. Je travaillais et je n’ai eu de problèmes avec personne.

Comment se passait votre vie au camp d’Argelès-sur-mer ?

Nous avons été placés là-bas comme des bêtes. Il y avait cinq camps. Celui d’Argelès était le plus proche d’Andorre. Il était l’anti-salle de la folie. Beaucoup sont devenus fous, sont décédés ou sont repartis en Espagne. Nous enterrions nos morts dans des trous dans le sable. Nous faisions aussi nos besoins dans le sable. Des paysans en faisaient du commerce : ils nous achetaient nos excréments pour fertiliser leurs terres comme engrais ! Un bidon de trente-cinq litres contre du pain et des boîtes de sardines. Nous ne nourrissions souvent qu’une fois par jour, souvent de salade et de pommes de terre, et nous étions affamés. Nous n’avions ni médecins ni soins. Nous avions pour gardiens des soldats sénégalais, marocains, algériens ou encore russes. Certains étaient gentils, d’autres plus mauvais. Je me souviens qu’on ne comprenait pas leurs ordres, ou qu’on faisait semblant de ne pas comprendre. Lorsqu’ils disaient : “en position, tir, couché ! » Nous, on restait debout [rires]. Quand ils nous disaient « à droite », on allait à gauche ! Et inversement ! [rires]

Et pour en revenir à l’Espagne, vos parents étaient-ils d’accord avec votre engagement ? 

J’étais condamné à mort. Donc évidemment mes parents étaient contents que je parte. Mais ils ne l’ont su que sept ou huit mois après, lorsque je leur ai écrit de Valence par la Croix-Rouge. Ensuite, c’est ma femme surtout qui était en contact avec eux par lettres. Ma mère est décédée en 45 et mon père en 50.

Avez-vous encore de la famille en Espagne ? 

Ma fille s’est mariée en Espagne et y vit avec ses filles. Arrivée en France à l’âge de sept ans avec ma femme, elle a épousé un espagnol madrilène qui travaillait dans une imprimerie à Talence et qui a pris sa retraite en Espagne. J’ai aussi une sœur en Andalousie. J’y vais deux fois par an, en été et à noël. Sinon, ils viennent me voir. Depuis le décès de ma femme, je souffre de solitude mais je ne veux pas me réinstaller en Espagne. Après dix jours sur place, l’envie me prend de repartir en France. J’y est mes habitudes, mes amis. Je me balade souvent jusqu’aux Quinconces et je rencontre toujours quelqu’un à saluer.

Après l’expérience que vous avez vécue, quel message vous voulez transmettre aux jeunes générations ?  

Lorsque je parle avec les jeunes en Espagne, je me remémore la guerre et les camps. Et je passe pour un vieux rabageois.

Après la guerre, avez-vous apporté une aide à vos compatriotes en Espagne ? 

Oui, énormément. C’est une des raisons pour lesquelles je parle mal le français. Je travaillais beaucoup et j’envoyais de l’argent à ma famille et à une association espagnole. En France, j’étais très actif dans les syndicats ouvriers espagnols de la place de la Bourse de Bordeaux et de celui des Landes. J’étais anarchiste à l’époque. Mais j’en suis arrivé à la conclusion que c’était une utopie : le communisme ne sort pas de la misère. Aujourd’hui, je refuse les conflits : je ne parle politique que si l’on ne se fâche pas.

M. Serrano, comment, au bout de soixante-dix années de grands services rendus à la France, vous n’ayez pas eu votre nationalité française ? 

J’aurais pu avoir la nationalité française immédiatement. Mais ils ont demandé à ma femme d’attendre cinq ans. Alors, je me suis fâché et j’ai laissé tomber. Puis le temps a passé. J’avais un travail et ma femme aussi. Que m’aurait apporté de plus la nationalité française ? Beaucoup la demandent en raison des lois sur le droit au travail des étrangers. Mais j’ai passé vingt-cinq ans chez Peugeot sans soucis et à ma retraite, j’ai eu pleins de cadeaux : ils étaient contents de moi.

Et votre fille, née donc en Espagne, était française ? 

Oui, ma fille et mes petites-filles sont françaises. Ma petite-fille aînée – qui a quarante-sept ans déjà ! – a épousé un Espagnol après plusieurs vacances passées en Espagne avec sa grand-mère paternelle. Sa sœur l’a suivie. Cela a ensuite été le tour de leur père, mon gendre.

Que pensez-vous de la loi sur la mémoire qui a été votée en 2007 en Espagne ? 

C’est très bien. Il faut des tonnes de papiers pour écrire l’histoire de l’Espagne. Chacun a sa propre histoire, son vécu, sa vision. Beaucoup de mes anciens camarades ont été enterrés dans des fosses communes. Depuis, beaucoup d’eau est passée sous les ponts. Et a tout emmené sur son passage.

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Interviewer : Marianne Bernard
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