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Juan Enrique GONZÁLEZ

Juan Enrique Gonzales
Républicain Espagnol
Né en 1919

Juan Enrique GONZÁLEZ
Juan Enrique GONZÁLEZ
/
Les séquences

Interviewer : Marianne Bernard
Lieu : Bordeaux
Date : 20 mars 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux au sujet des Résistants républicains espagnols en Aquitaine, un entretien avec Juan Enrique Gonzalez a été enregistré le 20 mars 2009 à Bordeaux (33) par Marianne Bernard et Oumar Diallo.  Sur cette page, vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien, ainsi qu’une retranscription intégrale en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

JUAN ENRIQUE GONZALES – Je suis né le 23 juin 1919 à Junquera dans la province de Guadalajara. Mes parents s’appelaient Mariano y Bénita Horeina. Mon père était responsable de fabrication dans une usine anglaise de ciment et ma mère était femme au foyer. J’avais des frères et une sœur. Nous sommes allés ensemble à l’école privée de l’usine.

MARIANNE BERNARD – Quel a été votre engagement quand la guerre d’Espagne s’est déclarée ? 

Quand la guerre d’Espagne s’est déclarée, on a tout abandonné pour se réfugier à Guadalajara. On n’était que des jeunes ou des personnes âgées. On était logés dans un hangar d’aérodrome et on dormait sur la paille. Avec des camarades, on a demandé l’aide du gouverneur. Nous avons fini par avoir des logements. Mais mon père a préféré retourner dans son village de naissance, qui était aussi le mien. Mes parents avaient de l’argent. Nous n’avons jamais manqué de nourriture, même si elle était rationnée.  

A quel moment vous êtes-vous engagé dans le conflit ? 

En 36, on travaillait à la campagne. Et un dimanche ensoleillé de septembre 1937, alors que tout le monde était dehors, nous avons vu apparaître vingt-trois trimoteurs allemands derrière les montagnes qui ont bombardé la ville. Ils ont tout détruit. Ils ont tué les personnes âgées et les enfants plutôt qu’autre chose. Et je me suis promis que le jour où je quitterai la maison, je deviendrai pilote. Ma mère m’a contraint à attendre mes dix-huit ans pour partir à l’école de pilote de chasse. A ma majorité, j’ai intégré la caserne Geronimos d’Alcantarilla, en Murcia. Mais en raison de l’avancée des troupes franquistes, on a dû abandonner les cours et la caserne s’est transformée en camp de recrutement. On a formé les nouveaux arrivants au maniement des armes. Puis, chacun a été dispersé. En février 38, j’ai été envoyé aux Brigades internationales à Cambrils près de Tarragone. Puis, on a rejoint Tortosa. On est passés en seconde ligne et on est montés un peu plus haut. En septembre, on a traversé l’Ebro. J’ai été blessé lors de combats du côté de Mora La Nueva en 39. J’ai été opéré à l’hôpital de Reus. Puis, j’ai été envoyé en train à l’hôpital de Gérone.

Pourquoi vous êtes-vous engagé dans les forces républicaines plutôt que de l’autre côté ? 

Mon beau-père appartenait au mouvement radical de gauche. Il était membre du parti socialiste.

Après votre séjour à l’hôpital, vous avez évacué le front par la frontière française des Pyrénées ? 

L’hôpital de Gérone m’a envoyé à Sant Hilari de Sacalm. Les Franquistes arrivaient et on a donc été emmenés à Figueras. Mais l’hôpital a été bombardé. Le 7 février 39, on est tous partis à pied de nuit pour rejoindre la frontière. Il neigeait et  la frontière était fermée. On a attendu trois ou quatre jours. Quand ils ont ouvert la frontière, on a rejoint Le Boulou. On nous a offert des grands plats de nouilles et du pain. Puis, on a été pris en charge par les gendarmes qui nous ont fait marcher jusqu’à la plage d’Argelès-sur-mer. Il n’y avait rien, ni eau, ni nourriture, ni baraquement. Alors pour dormir, on était obligés de faire des trous et de se coucher dedans à quatre ou cinq. Et quand celui du haut avait froid, on se tournait et ça recommençait. Tout le monde avait la dysenterie les premiers temps. Pour la soigner, on nous donnait à manger du charbon. Certains sont morts sur place. Des ouvriers avec des camions les emportaient je ne sais pas où ! Sinon, un bâteau-hôpital conduisait les malades à Carcarès. D’autres sont devenus fous. Je me souviens de réfugiés marchant dans la mer avec une valise à la main et déclarant qu’ils partaient en Amérique.

Au départ, hommes, femmes et enfants étaient mélangés. Puis, des baraquements ont été construits. J’ai intégré la compagnie des travailleurs et on construisait à seize une baraque par jour. Femmes et enfants ont pris place à l’autre bout du camp.

On a aussi construit des latrines. La compagnie de travail était chargée de les vider et entretenait aussi les allées. Nous n’étions pas maltraités par les gendarmes si nous restions tranquille. En cas de rixe, nous prenions des coups de crosse.

Tous ceux qui avaient des proches en France ont quitté le camp.

Vous pouvez nous raconter une journée passée au camp d’Argelès ?

Mes meilleures journées furent celles où on faisait des “ateliers” créatifs. Certains sculptaient des figurines dans du savon. Moi je fabriquais des marionnettes en bois avec des fils de fer qu’on faisait tourner au vent. Car il y avait la tramontane !

Et après ? 

En juin 39, je suis parti dans une compagnie de travail dans les Alpes-Maritimes pour la construction d’une route. Faute de logements, nous avons construit les nôtres à l’arrivée de l’hiver. Avec des grandes pièces de laine, de la paille et du bois qu’on avait volé, nous avons bâti une maison pour trente personnes. On a fabriqué des pointes pour construire des lits en bois. J’ai ensuite demandé à aller travailler en usine. En novembre 39, j’ai été envoyé au camp de Septfonds. Après plusieurs tests, j’ai été admis à l’usine de fabrication de moteurs d’avions Hispano Suiza à Tarbes [Rires]. On était très bien logés : au plus grand hôtel de Bagnères de Bigorre, à l’hôtel de France ! Et on nous payait un bon salaire : 7 francs 30 de l’heure, plus 1 franc de prime, ça me faisait 8 francs 30 ! 

Pour en revenir au camp d’Argelès, vous étiez gardés par les gendarmes, les tirailleurs sénégalais et les Spahis. Comment se comportaient-ils ?

Les gendarmes étaient surtout à l’extérieur du camp. Certains s’amusaient à mettre un coup de pied dans les tables où reposaient l’eau et la nourriture offerts par des femmes aux réfugiés espagnols. A l’intérieur du camp, j’ai croisé une fois un gendarme accompagnant un camion de pain. J’avais une arme américaine, un pistolet six/trente cinq. On a entouré en masse le camion et chacun par chaque côté a pris plusieurs pains [rires].

Et les tirailleurs sénégalais, comment se comportaient-ils ? 

Comme avec les gendarmes, il fallait rester tranquille. Mais certains étaient mauvais. Ils ont commis des tentatives de viol sur des femmes du camp. D’autres ont donné à des Républicains des grenades, objet dont ils ignoraient le fonctionnement, qui se sont fait sauter.

Et les soldats marocains ? 

C’est toujours pareil, des bons et des mauvais. Certains, quand ils pouvaient, ils envoyaient leurs chevaux contre nous ! Ils les faisaient ruer pour qu’ils nous frappent !

Jusqu’en juin 1940 vous êtes restés là-bas ?

Oui, jusqu’à l’Armistice. Puis, on nous a été rassemblés. On nous a annoncé la fin de la guerre et offert un repas. Et on nous a emmenés au camp de Gurs en prenant le train à Oloron. Je suis resté à Gurs jusqu’à novembre 40. Puis, j’ai été envoyé dans une compagnie de travail en Ariège pour la construction d’une route qui avait été démolie. Nous étions logés dans des maisons abandonnées aux sols enneigés et sales, sans lumière ni eau ni lit. Rien. On prenait du bois aux voisins pour le brûler dans la cheminée. Ensuite, nous nous sommes organisés. J’ai passé l’hiver sur ce chantier. On travaillait par équipe de quatre par tour de dix minutes : dix minutes à travailler dans l’eau gelée et dix minutes dehors à se réchauffer. Pour repas, on avait du topinambour bouilli. Et on a encore eu la dysenterie ! Puis, un jour, un camion de gendarmes nous a emmenés au camp de Noé à Toulouse. Deux jours plus tard, nous avons été conduits en train à Montpon, en Dordogne et livrés aux Allemands. Nous avions été échangés par Pétain pour prendre la relève des prisonniers français envoyés en Allemagne. Les Allemands nous ont amenés au camp de Saint-Médard en Jalles. Nous étions deux mille. Chaque matin à 6h ou chaque soir à 18h, nous étions escortés pour aller travailler à la base sous-marine. Nous nous rendions en train jusqu’à Saint-Louis puis nous marchions jusqu’à Bordeaux. Nous avons réalisé toutes sortes de travaux à commencer par le déchargement de wagons de sable, de gravier, de fer ou de ciment. En février 1938, nous avons été déplacés à la caserne Niel. Nous réalisions différents sabotages comme mettre du bois ou tordre la ferraille des rails du train pour qu’il déraille ou encore  mettre des sacs de ciment dans les compresseurs pour arrêter les bétonnières. On montait tous sur les sacs pour tasser le ciment ! Nous n’avons jamais été pris par les Allemands : ils étaient absents ou alors avaient le dos tourné. Nous n’appartenions à aucun mouvement de résistance : on était contre le régime allemand. Il y avait seulement trois Allemands démocrates avec lesquels on s’entendait : ils menaient des actes de désobéissance.

Puis, avec un ami, nous avons réussi à nous faire embaucher à la Kommandantur allemande en tant que mécaniciens. Nous réparions les camions de transport de matériaux. Notre atelier était quai de Queyries.

Vous n’avez jamais pensé à repartir en Espagne ? 

Non, jamais. Si j’étais reparti en Espagne, j’aurais été envoyé en Afrique pour quatre ans ou cinq ans. Moi, j’avais un métier et je voulais travailler. Certains Espagnols ont été renvoyés de force en Espagne. Mais en tant que technicien, j’étais trop utile aux Allemands.

Après la guerre, vous vous êtes retiré à Bordeaux ?

Oui, j’habitais Cour de l’Yser. Puis, je me suis marié ! Mon épouse est une basque espagnole et républicaine autant que moi, si ce n’est plus. Nous nous sommes installés à Cenon, puis à Pessac. Nous avons eu deux enfants. Je ne suis pas retourné en Espagne. Lors de la censure sous Franco, mon père arrivait à me faire passer des lettres où il me disait indirectement de ne pas rentrer.

Vous aviez de la famille encore en Espagne ? 

J’ai encore ma sœur, mon beau-frère et une nièce de son mari et leurs enfants. 

Avez-vous parlé de vos faits d’armes en Espagne ou en France avec vos proches? 

Non, avant, personne ne disait rien, même au sein des familles. Il y a quatre ans, mon épouse a donné son revolver de service à notre plus jeune fils. Nous n’avions rien dit avant. Mon épouse est décédée il y a trois ans. Dernièrement, mes petits-enfants m’ont interrogé sur mon passé. Mais je n’ai pas pu donner les détails que j’avais en tête à l’époque.

Que faisait votre femme en Espagne pendant la guerre ? 

Son père était responsable de sécurité de l’Etat Major du Pays basque. Et elle faisait l’estafette avec un garçon en moto et side car. Elle transmettait les documents de l’État Major aux armées.  Elle avait donc un révolver qu’elle a continué à porter aux camps d’Argelès-sur-Mer, de Rivesaltes et de Gurs. Aujourd’hui, son ressort est cassé, mais on l’a conservé.

Vous avez aujourd’hui quatre-vingt-dix ans, qu’avez-vous envie de laisser comme message aux jeunes générations ? 

Garde patience, gardez le moral et distrayez-vous autant que possible. Nous, même enfermés, on chantait, on dansait. Les gendarmes français s’étonnaient : on n’avait rien à manger et on faisait la fête ! N’oubliez pas l’entraide. Aidez-vous les uns et les autres. C’est que comme ça qu’on arrive à s’en sortir

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