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Abdellah BOUMAIZA

Ancien combattant marocain
Né en 1931
Engagé en 1951
Arrivé en France en 2000

Abdellah BOUMAIZA
Abdellah BOUMAIZA
/
Les séquences

Interviewer : Loïc Le Loët
Traducteur : Abdellah Ahabchane
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 19 mars 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Abdellah Boumaiza a été enregistré le 19 mars 2009 dans les locaux de l’association ALIFS. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

LOÏC LE LOËT – Comment avez-vous entendu parler de l’engagement militaire ? Pouvez-vous nous parler de votre vie avant de devenir militaire ?

ABDELLAH BOUMAIZA – Le camion de la tribu vient dans la tribu, ils engagent un crieur pour annoncer l’engagement, notamment en Indochine… Moi, j’avais pas mes parents et j’avais 19 ans, donc j’avais pas d’autres choix, je me suis décidé à m’engager volontairement. Qui plus est, avant, je travaillais dans l’agriculture, à Sidi Allal El Bahraoui Kamouni, au Maroc, et je me suis aperçu que je ne pourrais pas m’en sortir tout seul. Alors je me suis engagé. Ma famille n’était pas trop d’accord. Ils m’ont accompagné à Casablanca, mais j’ai insisté en leur faisant comprendre que je n’avais pas d’autres choix et qu’au moins, je pourrai boire et manger avec l’armée !

Je travaillais dans l’agriculture, mais comme je me suis aperçu que je ne pouvais pas m’en sortir tout seul, je me suis engagé.

Quel choix feriez-vous si c’était à refaire ?

Vu les conditions et les problèmes d’aujourd’hui… je ne le referais pas…

On va aborder votre vie militaire. Quelles opérations avez-vous connu ? Quel était votre rôle au sein de l’armée ?

On est parti au départ en Algérie. On a travaillé là-bas à peu près un mois, et après on est parti pour l’Indochine. Je suis parti là-bas le en juin 1951. À l’armée, je m’occupais des lignes téléphoniques. Quand il y avait des pannes, on faisait souvent appel à moi pour arranger les lignes sur les poteaux. Et j’étais aussi chauffeur.

J’appréciais le contact avec les gens d’Indochine, sur place. Je pouvais circuler sans problème. Après, c’est vrai qu’il y a des bonnes et des mauvaises personnes partout… j’ai beaucoup apprécié ce contact quand même et j’avais beaucoup de regrets de repartir au bout de trois ans.

Et quelles étaient vos relations avec les autres combattants, qu’ils soient sénégalais ou autres ?

J’avais de bons contacts, autant avec les Français que les Sénégalais. Moi je suis un homme droit, honnête, je ne mens pas. La preuve, quand je sortais de la abse et que je revenais, on me demandais toujours un mot de passe. Moi, comme je disais tout simplement, « Je suis le Zemmouri marocain », ça passait sans problème !

J’appréciais le contact avec les gens d’Indochine. Je pouvais circuler sans problème, aller et venir. Après, c’est vrai qu’il y a des bons et des pas bons partout… Mais j’avais beaucoup de regrets de repartir au bout de 3 ans.

Vous pouvez nous raconter quelque chose qui s’est passé, que vous avez vu qui était très dur à vivre ?

Les soldats Indochinois, ils se camouflaient sous terre, puis ils laissaient passer un groupe de soldats de l’armée française. Ils les attaquaient ensuite. Une fois, ils nous ont complètement encerclés. Et ce qui m’a marqué le plus… Je voyais du feu, des gens qui explosaient… et j’ai vu plusieurs fois ces scènes… ça m’a beaucoup marqué.

Je suis revenu en février 1954 au Maroc. J’ai arrêté l’armée pendant quatre ans, et j’ai repris dans l’Armée royale marocaine.

Étiez-vous au courant de la cristallisation des retraites par le Parlement français ?

Moi quand je me suis engagé après dans l’armée marocaine, il n’y avait pas encore eu cette cristallisation. C’était autour de 1959. L’armée française nous donnait, à l’époque… 901 reals par mois. De nos jours ça représente à peu près… 4 euros et 10 centimes !

En quoi votre engagement militaire a-t-il changé votre vie ?

Ça m’a permis d’avoir des contacts, d’apprendre des choses, des notions de respect, de vie de groupe… Il y a du bon et du moins bon dans cette histoire.

À votre démobilisation, donc à votre retour au Maroc, vous avez retrouvé une activité avant de vous engager pour l’armée marocaine ?

Comme j’avais déjà le permis quand je suis revenu, je suis devenu chauffeur de taxi… Et quand je suis revenu, au bout de deux mois, je me suis marié. Et même si j’étais chauffeur de taxi, j’ai repris aussi un peu l’agriculture, un peu d’élevage… À ce moment-là, je ne réclamais pas de droits de pension, parce que je pensais que je n’aurais rien. D’autant plus qu’il y avait des gens qui ont fait douze ans d’engagement, voire treize ans, et qui avait… 3000 réals… ce qui représente à peu près… 15 euros… par mois.

Pourquoi maintenant avez-vous décidé de venir en France ?

Je suis venu ici en 2000. C’est des amis, qui étaient déjà venus auparavant ici, qui m’ont informé que si j’avais fait la campagne d’Indochine, j’avais des droits à réclamer ici. Je ne connaissais personne à Bordeaux. Je savais juste qu’il y avait des choses qui s’y passaient pour nos droits… Donc j’ai pris le car de Meknès et quelqu’un est venu à la gare de Bordeaux et nous a amené au foyer du Médoc. J’avais les papiers de mon dossier militaire, et au foyer, il y avait un monsieur, Mohamed [Imel], qui nous a aidés à remplir les papiers nécessaires pour la cité administrative.

Maintenant, est-ce que vous pouvez nous raconter une journée type que vous vivez ici à Bordeaux ?

Ici, en ce moment, une journée, c’est comme si je n’avais pas de vie… parce que, dès que je rentre au foyer dans ma chambre, je n’ai pas de gens avec qui discuter… Je reste dans la chambre, je regarde la télévision… Voilà ma vie d’une journée… Mais quand je sors, je vais à Saint-Michel ! Je considère que je vis bien au niveau du confort… Mais le problème c’est qu’il faut que je me fasse ma cuisine, je vis seul…

Je ne connaissais personne, je savais juste qu’à Bordeaux il y avait des choses qui se passaient… Donc j’ai pris le car de Meknès et je suis venu et c’est quelqu’un qui est venu à la gare et qui nous a amené au foyer du Médoc.

Vous payez un loyer certainement… ? Combien vous payez ? Et combien vous touchez pour votre pension ?

Je suis en location, la CAF nous verse une prestation de 248 euros, et je rajoute de ma poche 60 euros. Mais il faut rajouter la mutuelle et l’assurance de l’appartement… Et pour ma pension, je touche 600 euros par mois.

Est-ce que vous combattez pour vos droits ?

Bien sûr, j’ai envie de me battre pour ces droits ! Mais il faut aussi des gens qui nous aident, parce que nous on n’a pas les capacités pour le faire et pour l’exprimer…

Aujourd’hui, de quoi avez-vous envie, c’est-à-dire par rapport à votre situation de vie ? Vous avez envie de retourner au Maroc, ou de rester en France… ?

Moi je souhaite repartir au pays, parce que mes revenus d’ici ne suffisent pas pour vivre. En plus, quand je repars au Maroc, il y les frais de voyage à chaque fois… Donc qu’est-ce qu’il me reste une fois arrivé là-bas… à peine 300 euros… Et, bien sûr j’aide ma famille, ma femme et aussi mon fils… D’autant plus que mon fils est malade, je suis obligé de les aider !

Donc, moi, ce que je souhaite, c’est que vous puissiez nous aider. Que des gens défendent nos droits par rapport à nos revenus, à nos pensions… Et des fois on nous coupe les vivres, avec les allers-retours au Maroc… C’est pas une vie ! C’est comme si nous étions encore engagés ! C’est pas une vie… parce qu’on mange, on boit, mais nos enfants sont au pays et on ne sait pas toujours ce qu’ils deviennent…

C’est pas une vie ! C’est comme si nous étions encore engagés !

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Interviewer : Loïc Le Loët
Traducteur : Abdellah Ahabchane
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