Ancien combattant marocain
Né en 1933
Engagé en 1953
Arrivé en France en 2008
Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Zahid Alhou a été enregistré le 23 octobre 2009 au Foyer Adoma. Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.
JOËL GUTTMAN – On va parler de votre vie avant l’engagement militaire. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette période de votre vie et nous dire quand et où êtes-vous né ?
Tout d’abord, j’étais agriculteur jusqu’à l’âge de 20 ans, je m’occupais des animaux et de la terre. Et lorsque la France est arrivée, elle a demandé à ce qu’on s’engage. Je me suis alors engagé volontairement et directement dans la guerre d’Indochine.
Quelles étaient les raisons, vos motivations pour vous engager ?
J’avais de la famille qui était engagée auprès de la France, donc je me suis engagé moi aussi et j’ai défendu le drapeau de la France.
J’ai défendu la France, j’ai lutté auprès de la France et je le referai, même si on me le demande maintenant !
À l’époque, il y avait une commission qui venait à Tedders, demandant des volontaires pour s’engager pour cette guerre. J’aime la France, et donc je me suis engagé parce que j’aime le drapeau, et encore aujourd’hui… j’aime toujours la France !
Si c’était à refaire, est-ce que vous referiez le même choix ?
Oui ! Je le fais ! J’ai défendu la France, j’ai lutté auprès de la France et je le fais même si on me le demande aujourd’hui !
Quelles opérations vous avez connues, notamment en Indochine ?
D’abord, j’ai fait l’instruction à Kénitra. Puis, j’ai participé à toutes les opérations de Thái Bình à Kin Han [?], donc jusqu’à la fin. Et même après la fin, je suis resté aussi pour participer au ramassage du matériel militaire, pour le ramener en France. Je suis resté vraiment jusqu’au bout. Mais je n’avais aucun grade à l’époque… j’étais deuxième classe. J’étais au service du génie, je m’occupais des ponts, des mines, des routes…
En dehors du conflit lui-même, qu’est ce qui a été le plus dur pour vous ?
Le plus difficile… Évidemment tout était difficile, mais quand on est militaire la seule chose qu’on avait comme mission, c’était la patience. La patience et le sérieux. Il fallait être très patient, très patient, très patient. Aussi, le courage…quand on défend un drapeau, on doit être courageux. Il faut être un homme ! Un homme… courageux, sérieux, et patient ! C’est ça, qu’il fasse froid, qu’on tire… il faut être courageux. C’est ça le métier d’un militaire.
Est-ce que vous pouvez nous parler de vos relations avec les autres combattants ? Est-ce que vous restiez qu’entre Marocains, ou est-ce que vous pouviez rencontrer par exemples des Sénégalais, ou des Algériens, ou des Français ?
Les Sénégalais, ils étaient tous seuls, les Marocains, ils étaient tous seuls, les Algériens aussi. On était des groupes, mais on était guidés quand même par des gradés français. Les commandants, les chefs, ça n’était que des Français, y compris au niveau du génie. On travaillait avec la France et chacun était dans son coin. On se croisait mais on n’avait pas l’occasion de travailler dans le même groupe.
Les Sénégalais, ils étaient tous seuls. Les Marocains, ils étaient tous seuls. Les Algériens aussi. On était des groupes, mais on était guidés par les gradés… Mais eux, c’étaient des Français.
Avec les supérieurs, la relation était une relation de sérieux. Quand on travaillait bien, il n’y avait pas de problèmes avec les gradés. Là où on nous demande, on y allait, donc c’est une relation d’ordre… On exécutait, sans problème. Donc, quand on travaille bien, ça se passe bien.
De quoi vous parlez quand vous rencontrez des anciens combattants ? De souvenirs de guerre, de la vie en général, de sujets de tous les jours ?
En effet… Entre nous, on parlait de tous nos souvenirs, que ce soit les opérations faites, que ce soit les rencontres là-bas, la guerre d’Hô Chi Minh. La guerre est difficile et dure… ! Ça reste ! Et il y a aussi des souvenirs de ceux qui sont morts… on se souvient de certains, on se souvient des moments passés dans des lacs d’eau, ou des moments qu’on a passé sur des ponts. La guerre c’est ça, c’est le courage… mais avec la France ! Et la France nous a demandé de venir, donc on était avec elle. Et on est avec elle, même maintenant ! Si elle nous demande de venir maintenant, on est encore avec elle !
Qu’est-ce que vous avez fait après l’armistice ?
Quand j’ai terminé avec la France, je suis rentré au Maroc. Je suis revenu après l’armistice, et en rentrant au Maroc, je me suis engagé dans l’armée marocaine. J’ai fait presque trente ans en tant que militaire marocain… De 1956 jusqu’en 1984, engagé dans l’Armée royale marocaine. Et en 1984, c’était l’âge de la retraite avec la France et avec le Maroc pour moi !
Sans rentrer dans le détail de votre vie privée, vous êtes marié ? Vous avez des enfants ?
J’ai trois enfants, j’en ai un aux États-Unis, un au Canada et une fille qui travaille au tribunal.
Et là, à quel moment êtes-vous arrivé ici, en France ?
Ça fait un an et quatre mois que je suis là. Je suis venu parce que j’ai fait une demande, et ils m’ont demandé de venir ici. Bordeaux était connu, c’était où les anciens combattants déposaient leurs dossiers, donc on connaissait.
Qu’est-ce qui est le plus dur aujourd’hui, l’éloignement de la famille, les conditions de vie ?
En effet, la vie est « un petit peu » difficile… Il y a quelque chose qui manque… Ce que je demande à la France, c’est qu’ils nous donnent notre pension… cette pension qu’ils nous donnent ici, qu’ils nous la donne là-bas, et que l’on vive avec les nôtres. C’est vrai que la vie… Il y a quelque chose qui manque ! On est là, tout seul, on prépare à manger tout seul. Ce n’est pas évident, il y a quelque chose qui manque. Si on nous donne notre pension chez nous, ce sera mieux. Mais c’est la France qui décide, c’est la France qui a tout en main. Si elle a envie de nous donner nos droits et nous les envoyer, en une journée elle le fera !
La vie est « un petit peu » difficile… Il y a quelque chose qui manque, en effet… On est là, tout seul, on prépare à manger tout seul, ce n’est pas évident, il y a quelque chose qui manque.
Je demande quand même à la France de nous donner nos droits et de nous les donner là-bas. Parce que la vie ici, tout seul, à préparer à manger, séparé de ses enfants, des siens, c’est très, très difficile… La France est un grand pays, la France est un pays de droits de l’Homme, elle sait ce qu’elle a à faire. Elle DOIT nous donner nos droits ! Pour nous, la vie… j’ai 76 ans…donc c’est pas aussi simple pour préparer à manger, être séparé de ses enfants…
Est-ce qu’il y a des lieux que vous aimez particulièrement ici à Bordeaux ?
Toute la France…tous les lieux de la France sont sympathiques ! Donc il n’y a rien à dire à ce niveau-là. Ce que je demande quand même à la France, c’est qu’elle s’occupe de nous, parce qu’il y a quand même des anciens combattants qui ont perdu leurs jambes, qui souffrent, qui préparent à manger tout seuls… Je demande et nous demandons à la France de faire quelque chose pour nous aider. Voilà, ma demande, c’est qu’elle s’occupe de nous !
On s’est occupé de la France, qu’elle s’occupe de nous maintenant. Qu’elle s’occupe de nous jusqu’à ce que l’on parte définitivement…
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