— Homepage / Mémoire orale / Anciens combattants marocains /

Lahcen BAHASSI

Ancien combattant marocain
Né en 1921
Engagé en 1942
Arrivé en France en 1990
Reparti au Maroc définitivement en 2010

Lahcen BAHASSI
Lahcen BAHASSI
/
Les séquences

Interviewer : Joël Guttman
Traducteur : Aziz Jouhadi
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 23 mars 2009

Présentation

Dans le cadre de la collecte de témoignages oraux auprès des anciens combattants marocains, un entretien avec M. Lahcen Bahassi a été enregistré le 23 mars 2009 dans les locaux de l’association ALIFS . Vous trouverez un résumé synthétique de cet entretien sur cette page, ainsi qu’une retranscription intégrale de cette interview en cliquant sur bouton ci-dessous.

Retranscription intégrale

Résumé de l’interview

JOËL GUTTMAN – Bonjour, est-ce que vous pouvez nous parler de votre vie avant de vous engager militairement, de devenir militaire ?

LAHCEN BAHASSI – Je suis de Khémisset. Avant de m’engager, je travaillais comme agriculteur. Et après, quand je suis devenu majeur, je me suis engagé. En fait, je ne savais pas ma date de naissance quand je me suis engagé… alors ils ont mis 1921. Et moi je me suis engagé en 1942. Ce qui me donnait 21 ans. La majorité ! Je me suis engagé sans le dire à mes sœurs. Ce sont elles qui m’ont élevé car nos parents sont morts quand j’étais très jeune. Et au final, elles ne l’ont su qu’une fois que j’ai eu l’uniforme… !

Si la France le voulait, je m’engagerais encore, pas de problème !

Et comment avez-vous entendu parler de la possibilité de vous engager dans l’armée ?

Il y avait un crieur qui passait dans les marchés hebdomadaires, les souks, et qui proposait (il criait…) aux gens de s’engager. Moi, je me suis engagé à Meknès, surtout pour des raisons pécuniaires. Je suis resté à Meknès jusqu’à la visite médicale. Ensuite, on m’a donné un uniforme et j’ai fait les premiers entraînements là-bas. Après, on m’a emmené au village d’El Hajeb, à 30 kilomètres de Meknès. J’y suis resté, et on m’a appris le métier de soldat. Vous savez, si je ne m’étais pas engagé, j’aurais continué dans l’agriculture. Donc, aujourd’hui encore, si la France le voulait, je m’engagerais encore, pas de problème !

Dans votre vie de militaire, quelles opérations ou guerres vous avez traversé ?

La première campagne, c’était en Tunisie. J’ai fait la guerre près des montagnes Zaghouan quand les Italiens et les Allemands ont envahi la Tunisie. Après cela, nous sommes rentrés au Maroc et on a été mobilisés à Casablanca où on a embarqué pour l’Italie et le Monte Cassino en 1944. Nous avons continué le combat après Rome, puis nous avons été relevé par les Américains. Après ça, nous sommes partis et nous avons fait le débarquement de Marseille. Après Marseille, nous avons fait la bataille de Mulhouse. Après Mulhouse, nous avons poursuivi notre route pour aller en Allemagne, en passant par Strasbourg. Après l’Allemagne, nous avons été jusqu’en Autriche. C’est là qu’on a arrêté et qu’on est rentré à Paris, pour défiler aux Champs Élysées !

Nous n’étions que des Marocains, il n’y avait pas de mélanges ! Et il y avait des Français avec nous, qui nous commandaient…

Une fois que l’on a fait le défilé de Paris, je suis rentré au Maroc. Après je suis parti pour Madagascar le 2 juillet 1947. J’y suis resté jusqu’en 1950. Ensuite, je suis parti en Indochine, pour deux séjours différents. Au deuxième séjour, j’étais au 6ème RTM. Une fois que l’Indochine était terminée, j’avais fini et j’ai eu la retraite. En tant que soldat, j’étais d’abord dans l’infanterie, puis j’ai terminé mon service comme chauffeur… En tant que première classe…

Pouvez-vous nous parler de vos relations avec les tirailleurs sénégalais, les Algériens etc. ?

Nous n’étions que des Marocains, il n’y avait pas de mélanges ! Mais il y avait tout de même des Français qui étaient avec nous, et qui nous commandaient… Sinon, nous avions de bonnes relations avec les chefs. Je n’ai jamais été sanctionné par le cachot, rien ! C’était bien. Après mon service, j’ai travaillé à l’hôpital de Rabat, Marie Feuillet, jusqu’à la retraite, en tant qu’ambulancier.

Quels étaient vos rapports avec les civils des pays où vous êtes allé ?

D’une manière générale, avec les civils, ça se passait très, très bien. Que ce soit en Allemagne, en Italie ou en France, très bien ! Sauf à Madagascar, les Malgaches étaient un peu en retrait car ils avaient trop peur. Puis après, ils sont revenus dans leurs villages, petit à petit, et ensuite, on allait dans les cafés et les quartiers avec eux. Nous respections l’ordre public et nous n’avons jamais été là pour combattre les civils, on ne leur a jamais fait de mal. Quand il y avait des combats, c’était dans les champs de bataille, entre militaires.

Quand avez-vous pris votre retraite ?

À l’indépendance du Maroc, en 1956. Je suis reparti dans la vie civile. J’ai travaillé avec mon oncle qui était commerçant ambulant sur les marchés, et vendait des tissus. On a fait ça, jusqu’aux années 90 et la mort de mon oncle. Après j’ai entendu dire que la France régularisait la situation des anciens combattants. Vous savez, à la fin de mon service dans l’armée française, j’étais à un mois de la retraite. C’est pour cela que je n’ai pas été dans l’armée marocaine. La France me paie donc une petite retraite militaire. Ce n’est pas grand-chose… Je ne touche que 67 euros par mois du trésor…

Est-ce que vous avez fondé une famille ?

Je me suis marié en 1954 avec la fille de mon beau père, celui avec qui j’ai travaillé. Quand je me suis marié, j’étais encore à l’armée. Ils ont reconnu le mariage et on a eu des enfants. Ensuite, par le bouche à oreille, j’ai su que la France était en train de régulariser les droits pour les anciens combattants. De ce fait, je suis allé à l’ambassade à Rabat pour demander le visa et venir en France. Pour la cristallisation des retraites, moi, je ne sais pas grand-chose, comme la plupart des anciens combattants. J’ai une avocate, ici à Bordeaux, vers la place Gambetta, qui s’occupe de mon cas pour que je puisse toucher mes droits.

Moi, je ne savais pas grand-chose à propos de la cristallisation, comme la plupart des anciens combattants…

Je suis arrivé en France en mars 1990. À ce moment-là, j’étais à Paris. Ensuite je suis venu à Bordeaux, car là-bas, c’était trop dur pour moi. Je me déplaçais difficilement avec le métro, etc. Et puis le coût des transports aussi, c’était trop pour moi. Je suis donc venu m’installer à Bordeaux. Et quand je suis arrivé à Bordeaux, il y avait une dame qui s’occupait de moi, Mme Benioule. Elle m’aidait à remplir mes papiers et tout ça… Mais sinon, les relations que j’ai ici sont avec les anciens combattants. C’est tout !

Comment avez-vous été accueilli par la population ?

Je n’ai jamais senti aucune agressivité, au contraire. Quand je vais dans le bus, les gens se lèvent pour me laisser la place. La vie est tranquille, il n’y a pas de problème. Ma situation a beaucoup évolué. Moi, je dépends de la caisse des dépôts. J’ai de quoi manger, payer mon loyer et ce qui me reste, je l’envoie à mon épouse là-bas au Maroc.

En 2009, c’est quoi votre journée type au quotidien ?

Moi, je suis un peu malade, je suis asthmatique. Des fois, je suis très fatigué… avec les médicaments… Mais sinon, je sors le matin faire mes courses, je reviens pour préparer mon repas, je mange. Et le soir, je mange encore ce que j’ai préparé et je dors. Je vis au foyer Adoma, cours du Médoc. Les bâtiments sont largement mieux qu’avant ! Maintenant on a notre propre cuisine, les toilettes, la douche, et tout ça, dans le studio. Les studios sont d’ailleurs beaucoup plus spacieux, beaucoup mieux que par le passé.

Sinon, je vais à Saint-Michel, pendant les jours de marché, samedi, dimanche, lundi, ou des fois à la gare aussi… Je me promène un peu ! Mais, sans vous mentir… Si on régularise notre situation, je pars… Sinon je vais rester ici…

Quel est le montant de votre pension ?

Je touche 600 euros d’aide, plus 67 euros de la retraite militaire, et je paie la mutuelle militaire, je cotise à la SMAM. Je me débrouille… parce que j’ai des charges à payer, le loyer, la mutuelle, et pour vivre ! Et ce qu’il me reste je l’envoie au Maroc, pour ma femme.

Êtes-vous confiant pour l’avenir ? Pensez-vous obtenir vos droits pour vivre pleinement votre retraite en famille chez vous au Maroc ?

La France est un pays démocratique. S’ils ont dit qu’ils vont régler le problème, ils vont le faire, j’ai bon espoir…

Sans vous mentir… Si on régularise notre situation, je rentre… Sinon je vais devoir rester ici…

Partager :

Interviewer : Joël Guttman
Traducteur : Aziz Jouhadi
LieuALIFS, Bordeaux
Date : 23 mars 2009

Les séquences (18)
Ressources

Autres témoignages

Mohat BELAMRI
Anciens combattants marocains

Mohat BELAMRI

Mohamed BENTABAHATE
Anciens combattants marocains

Mohamed BENTABAHATE

Bouabib BERKAKECH (Partie 1)
Anciens combattants marocains

Bouabib BERKAKECH (Partie 1)

Bouabib BERKAKECH (Partie 2)
Anciens combattants marocains

Bouabib BERKAKECH (Partie 2)

Comprendre le contexte historique

Retrouvez tous les détails historiques et faits marquants en lien avec ce témoignage

Gagner la guerre depuis l’Afrique
Anciens combattants marocains

Gagner la guerre depuis l’Afrique

La victoire et les troupes marocaines
Anciens combattants marocains

La victoire et les troupes marocaines

Indépendances et gel des pensions
Anciens combattants marocains

Indépendances et gel des pensions